La place du citoyen dans la smart city
Suite à des discussions organisées par France Stratégie autour du rôle du citoyen dans la smart-city, plusieurs spécialistes ont souligné son caractère essentiel. Selon Sandrine Murcia, directrice générale de Connecthings : « Nous en sommes au début de la ville durable. Il ne faut pas croire que le capteur ou l’application ou l’infrastructure fera tout. Il faut penser les conditions dans lesquelles ces changements peuvent se faire et donner la possibilité aux citoyens de s’emparer, de tester, d’utiliser ces nouveaux services. La ville intelligente est une ville apprenante et programmable ».
« La pression des citoyens sur les réseaux sociaux a de plus en plus d’impact. Les utilisateurs des services ne sont plus de simples usagers mais deviennent des acteurs », souligne Guillaume Buffet, président-fondateur de U, une plateforme de transformation digitale qui accompagne les très grandes organisations.
Mais pour que les citoyens deviennent des acteurs de la smart-city, il faut les tenir informés des solutions qui existent pour qu’ils s’expriment. Des pages Facebook et des applications de mise en relation citoyenne ont ainsi vu le jour un peu partout en France.
À titre d’exemple, la ville de Roubaix fut l’une des pionnières dans la mise en place d’une application censée gérer les relations avec ses usagers. Cela leur permet notamment de communiquer directement aux autorités à propos des dysfonctionnements qu’ils constatent dans leur quartier.
Il existe plusieurs pistes pour donner plus largement la parole aux citoyens dans la smart-city.
Ainsi, les « capteurs citoyens » s’appuient sur la captation par les citoyens de nouvelles données indépendantes. Le but consiste à se saisir de ces informations et d’en tirer des conséquences pour faire du plaidoyer auprès des politiques. Cependant, cette production citoyenne, parce qu’elle se heurte à des difficultés d’accès aux données ou au manque de moyens pour les traiter, demeure peu développée.
L’open data traduit quant à elle une volonté d’ouverture plus large des données, principalement publiques, pour en faire un bien commun. Si les collectivités de plus de 3 000 habitants ont l’obligation légale de rendre publiques les données dont elles disposent (sur la mobilité, l’environnement, la démographie, etc.), peu le font réellement.
Pour le citoyen qui le souhaite, accéder aux données de sa ville ou de son territoire s’apparente encore trop à un parcours du combattant.
Les « civic tech », ou mouvements de participation citoyenne augmentés par le numérique, sont des applications qui ont fleuri ces dernières années L’ambition est de favoriser la participation des citoyens à la construction de projets dans leur ville. Beaucoup de collectivités ont mis en place ce type d’outils pour engager leurs administrés, mais dans les faits, la plupart des applications servent à faire des signalements (trou sur la chaussée, camion sur une piste cyclable…).
Si la place du citoyen dans la smart-city est essentielle, le manque global de participation présente le risque de dérive vers une perte de la notion d’intérêt général.
En effet, les industriels de la donnée que sont les GAFA américains (Google Amazon Facebook Apple) ou les BATX chinois (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) développent des technologies qui s’appliquent à de nombreux secteurs de la ville : déplacements, logements, accès Internet, etc. Ces développements sont sous-tendus par des modèles économiques axés sur la profitabilité de ces entreprises, et non pour le bien de tous.
Dans la plupart des exemples de partenariats public/privé pour la smart-city, notamment aux États-Unis, les modèles de gratuité visent à utiliser les données à des fins commerciales. Selon la CNIL, on est alors davantage dans un service « au public », plutôt qu’un service public. Des solutions de protection des données peuvent toutefois être déployées pour limiter ces problèmes.
Au Canada, à Toronto, le projet controversé Quayside, une « Google City », a périclité. Cette première incursion d’un des géants du numérique dans l’urbanisme prévoyait la création d’une « couche numérique » doublant l’aménagement physique de la ville. Cela aurait permis à des systèmes d’intelligence artificielle d’exploiter toutes sortes de données collectées par des batteries de capteurs, pour optimiser la gestion des services urbains. La question de la sécurité des données et de leur traitement est l’un des facteurs ayant abouti à l’abandon du projet.
Selon Jacques Priol, fondateur et directeur de mission du cabinet de conseil et stratégie Civiteo, cette « hyper-technicisation » de la gestion urbaine laisse finalement peu de place au citoyen, au profit du recueil des données. Selon lui, cela creuse un écart entre les intentions affichées de la ville intelligente, à savoir améliorer la qualité de vie en associant les citoyens, et sa réalité.
C’est de ces enjeux que découle le risque de dépolitisation de la gestion urbaine, voire de la privatisation de l’espace urbain. Avec un tel degré de technicité et de tels investissements, seuls des acteurs privés pourront intervenir et gérer la ville pour le compte des collectivités.